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Entretien avec Florent Bussy.

Elle est la cheville ouvrière de la sociéte de consommation. Objet de désir, symbole de liberté, elle s’est imposée aux classes moyennes, et a remodelé le territoire. Autant d’aspects à questionner pour repenser notre rapport à la voiture. Entretien avec Florent Bussy.
Florent Bussy Philosophe, auteur de « Critique de la raison automobile »

 

En 1957, dans « Mythologies », le philosophe Roland Barthes faisait de la voiture individuelle le reflet de la classe moyenne. « Une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier ». En quoi la voiture est-elle au cœur de la société de consommation ?

Elle a modelé l’urbanisme et l’aménagement territorial de ces 60 dernières années. Le territoire a été adapté à la voiture. Dans les années 1960, Carrefour est le premier à inventer les hypermarchés. Ce type de commerce n’a pu se développer que par la « démocratisation » de la voiture. Devant chaque hyper, d’immenses parkings toujours plus étendus. C’est la voiture qui a permis cette nouvelle disposition urbaine. Elle a contribué à l’étalement urbain et à la construction de ces centres commerciaux dans lesquels évidemment on surconsomme.

La voiture elle-même n’est-elle pas aussi un objet de désir ?

Oui, et pendant longtemps, sur le podium des marchandises enviables, l’automobile a été numéro 1. C’est sans doute moins vrai aujourd’hui. La publicité y joue un rôle structurant. En 2018, en France, les constructeurs automobiles ont dépensé 3,5 milliards d’euros de publicité, ce qui fait 1 500 euros par voiture vendue…

En allumant la télé, impossible de ne pas voir une pub pour une voiture. Les codes sont toujours les mêmes : de grands espaces, des paysages sauvages, incarnant la liberté. Évidemment, ça donne envie de consommer. La voiture est un objet de désir. Elle donne un statut, du prestige et de l’indépendance. Son automobile, on y tient ! C’est aussi cela qui rend difficile de passer à un autre mode de transport. Ce que l’on a conquis là, on craint de le perdre en prenant un bus. N’oublions pas que, pour une majorité de Français, la voiture est la seule propriété, le seul bien qu’ils possèdent.

En quoi est-elle aussi un symbole de liberté ?

C’est un transport individuel qui nous coupe du collectif. Enfermé dans une automobile, on vit en effet une indépendance par rapport au groupe. Le revers de la médaille est que, loin du regard du groupe, on peut adopter des comportements moins civiques souvent caricaturés comme ceux du « beauf » au volant.

En même temps que ce symbole de liberté s’est imposée une hypermobilité. La voiture a permis de faire de la mobilité une valeur en tant que telle. Bien avant la « démocratisation » des transports en avion, elle a mis à la portée d’une majorité de bourses des déplacements longs, rapides et fréquents. Désormais, il ne faut pas seulement être mobile, mais hypermobile. Celui qui est à l’arrêt dans notre société est considéré comme dépassé par le cours de l’histoire. Il faut se déplacer, partout, voyager au bout du monde, être en mouvement. Mais le confinement y a mis un frein.

N’est-ce pas en train de changer ?

Si, bien sûr. La voiture fait moins rêver qu’il y a trente ans. Ce phénomène est de plus en plus clair. Les jeunes générations se méfient davantage de la voiture que leurs aînés. Parce qu’il y a une prise de conscience écologique plus claire. Collectivement, on vit tous l’encombrement spatial et les excès de l’automobile.

En ce qui concerne la mobilité, on ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion. Le mouvement des gilets jaunes s’est dessiné autour de la mobilité et des carburants : la dépendance à la voiture de toute une partie de la population chassée entre autres des centres-villes par les loyers chers. À l’inverse, en ville, de plus en plus de personnes s’efforcent de se passer de voiture.

entretien réalisé par PIA DE QUATREBARBES
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